Il y a dans l’inconscient collectif du business cette idée ambivalente d’un réseau safe space qui serait en même temps “devenu comme les autres”. En fait c’est plus simple que ça, c’est juste un vrai réseau social, avec sa culture particulière qui ne laisse pas indifférent. On vous explique ?
Du réseau pur business ou pur RH…
On est désormais loin du temps du CV en ligne (récemment ressuscité d’ailleurs à coup d’inserts en PDF), mais cette perception dure encore, avec l’idée sous jacente et sensible que c’est “pour la carrière” – pour les gens qui “cherchent”, ou pire “sont entre deux postes”.
En vérité c’est désormais l’identité “business” ou entrepreneuriale qui prime, créant parfois des situations cocasses (ainsi les grands joueurs de MBA comme Kevin Durant investissent le réseau en parlant de leurs activités commerciales…)
…Au “vrai réseau” (le bordel en plus)
La démise progressive de X / Twitter sous la houlette de Musk a ouvert aussi un espace de repli pour de nombreux journalistes et politiques, qui déplacent le centre de gravité des échanges de la partie purement économique et carrière vers une partie plus “sociétale”.
La forte présence de certains écosystèmes (tech, écologie.climat, cybersecurité… et bien sûr startupers en recherche de fonds, crypto-bros en promotion de leur app blockchain et coach vendeurs de cours en ligne) tend aussi à faire dévier les échanges et à créer ce ton LinkedIn qu’on aime détester.
A noter qu’avec le succès vient le bordel et la fin des débats feutrés, et ces regrets lancinants en commentaires (”on se croirait sur X !”) où les cadres de la Défense pleurent la fin de l’entre-soi. Cela dit, il faut se préparer à la controverse, qui vient inévitablement dès qu’on quitte son premier cercle. Certains en font même une méthode, “cliver pour grimper” qu’ils appliquent surtout à leur propre promotion… A utiliser avec parcimonie donc (on y reviendra).
Du texte à la vidéo ?
Depuis mi 2024 les vidéos verticales (le redouté format 9/16e) ont débarqué en semi force sur la plateforme. En force parce qu’il y a un onglet dédié dans l’app, et un push de l’algorithme, mais pas complètement car elles ne sont pas du tout majoritaire dans le flux. LinkedIn reprend le modèle d’instragram, mais avec encore aujourd’hui une plus grande centralité du flux (alors qu’insta embarque sur les stories ou les reels et part dans tous les sens).
Il est franchement trop tôt pour en tirer des conclusions sérieuses. Cela semble marcher, mais l’intérêt et le contrat social de LinkedIn passe quand même par le texte long et argumenté.
Le royaume du bullshit ?
C’est un espace un peu bullshit et personne ne vous dira le contraire. Allez donc voir ce compte hilarant qui, parmi les milliers de parodies, a trouvé je crois le ton juste. Il y a une toute une “huslter culture” qui peut vite prendre des proportions pénibles, entre concours d’accroche clickbait (”j’ai planté ma boite et c’est le best jour de ma life”) et autres manifestation de la complaisance narcissique en mode le vécu ça marche. Au delà de la fatigue, c’est aussi malsain car ça décourage un usage plus sincère ou modéré du réseau.
Enfin LinkedIn surpondère ses plus gros contributeurs (aka “top voices”) ce qui leur donne un poids démesuré dans certains écosystèmes : on pense à Janco sur la question du climat, ou Jacques Attali sur on sait pas trop quoi (lol), ou bien d’autres. Ces top voices disposent d’un mégaphone surpuissant, mais hélas il est difficile (à moins d’être un patron du CAC 40) de rejoindre ce club fermé, et cela ne s’achète pas.
Au pays de ChatGPT ?
On reconnait tout de suite le style quand c’est mal fait, mais bon : à force de valoriser la production fréquente, dans une époque où les “créateurs” sont en burn out, la tentation de faire bosser les robots est forte. Apparemment c’est fréquent. Le problème :
- parfois ça se voit, et ça ne favorise pas la rétention, pour le dire poliment ; prendre ses lecteurs pour des cons c’est rarement gagnant ;
- chatGPT (ou ses équivalent) a tendance aussi à répliquer le plus commun ou plutôt le plus probable, enfonçant encore plus les lecteurs dans du même – émoji, clickbait, etc. comme évoqué plus haut.
Codes culturels, recettes ou règles communes ?
In fine il est difficile de faire la part des choses entre une culture commune qu’on constate bien – des usages qui se répandent, évoluant avec les formats et les usages ‘naturels” des internautes, et une sorte de dressage algorithmique entretenu par les vendeurs de recettes magiques ou autres secret sauces : mettez des selfies, gardez les liens pour le premier commentaire, lardez des émojis. Il faut bien dire que c’est énervant…